Si vous suivez un tant soit peu mon actualité (je sais,
c'est vaniteux et de penser que certains puissent s'intéresser à ce qui sort de
mon cerveau, mais bon c'est une autre histoire), le nom de Barry Barrison ne
doit pas vous être totalement inconnu. D'un personnage complètement
anecdotique, pioché au hasard parmi une foule d'autres, je me suis retrouvé
avec un compagnon d'écriture qui m'a suivi pendant huit mois de ma vie. Comment
? Je vais vous expliquer.
Tout a commencé en 2012. J'ai eu la
chance, pour la seconde fois, d'avoir été approché par Romain
d'Huissier et Julien Heylbroeck, les deux anthologistes qui codirigent Dimension
Super Héros chez Rivière Blanche. À cette occasion, ils ont eu la
gentillesse de me renouveler leur confiance pour le second opus à sortir.
Flatté, je me suis donc de nouveau plongé dans le vaste univers de personnages
disponibles dans le catalogue d'HEXAGON. Mais je me suis retrouvé confronté
assez vite à un problème de taille : autant je suis client des super héros en
tant que lecteur (BD) ou spectateur, autant je ne me sentais pas de m'embarquer
dans l'écriture d'une histoire qui mette en place des personnages bardés de
super pouvoirs, qui déclenchent des conflits à l'échelle cosmique d'un
claquement de doigts. La première année (en 2011 donc) mon choix s'était porté
sur l'agent sans nom, qui est un mélange de Bond, Bourne, et autre Lupin.
J'avais évité l'écueil une première fois, je n'étais pas convaincu d'y parvenir
une seconde.
Et puis, à force de passer en revue cette impressionnante
galerie de personnages, j'ai fini par tomber sur ce Barry Barrison. La page web
qui lui est consacrée est assez vide, comparée à certaines autres, et, pour
seules infos, quelques images scannées, tirées des comics, et cette tagline assez
sibylline et qui pourtant m'a accroché l'œil :
" Noble de naissance, il a perfectionné ses talents de
déduction grâce à l'enseignement de Sherlock Holmes, dont il fut contemporain
de son vivant.
Aujourd'hui assassiné par un de ses pairs, son fantôme est
maudit : il doit rester à demeure dans sons ancien manoir, Tarford
Castle."
Assez succinct, certes, mais ça a suffi à déclencher un
déclic. Je savais que ce personnage avait matière à devenir le héros principal
d'histoires récurrentes centrées sur lui. Dès lors, a commencé pour moi une
phase de recherches et de documentation. Je ne glanai que peu d'informations
dans un premier temps, juste quelques bribes à droite et à gauche. C'était peu,
mais je me suis servi de ce squelette rachitique pour élaborer la première
histoire, le Mystère de la Femme qui marche, mettant en place les premiers
traits caractéristiques de l'aristocrate anglais. C'est ce texte qui a eu
l'honneur de figurer dans cette seconde anthologie.
Les différents retours qui m'ont été faits sur cette
histoire furent très encourageants. C'est pourquoi je me décidai (grâce à un
coup de pied au cul des deux anthologistes) à contacter Philippe Ward et Jean
Marc Lofficier, les deux gourous de Rivière Blanche, afin de leur proposer
un recueil autour de Barrison. À ma grande surprise, ils ont trouvé l'idée très
intéressante (qu'ils en soient encore remerciés une fois ici). C'était donc
acté : du héros ponctuel d'une nouvelle, Barry Barrison allait devenir le
protagoniste récurrent d'une série. C'est là que les choses sérieuses
commencèrent vraiment.
Il est bien d'avoir un vrai contrat chez un éditeur. Mais
encore faut-il en remplir sa part, trouver des idées, et des histoires
intéressantes à raconter. Un personnage principal ne suffit pas, en soi. Même
s'il est le pivot central de la narration, il n'en reste pas moins que tout ce
qui tourne autour doit être étudié de la même façon. J'ai eu l'énorme chance
(eh oui, encore une fois, mais ça compte) que la disponibilité de Jean Marc
Lofficier soit remarquable. Il m'a aiguillé vers les exemplaires du comics KIWI
dont Barry est issu. Je me les suis procurés à un prix dérisoire sur un site
d'enchères internet bien connu. J'ai pu, grâce à eux, renforcer les traits de
caractère de ce cher Barry que j'avais ébauchés durant la rédaction du premier
texte. Mon personnage s'affinait au fur et à mesure. Me restait le plus
important : les histoires.
M'est venu l'idée d'une trame temporelle : Barry a vécu, est
mort, et, même au-delà de la mort, il continue à enquêter. Le personnage tel
qu'il existait dans les comics de départ est déjà mort. Il me semblait
intéressant, du fait que j'en avais dorénavant la latitude, de m'intéresser à son
histoire, et à sa vie. La nouvelle parue dans l'anthologie se passe de nos
jours. Ce sera donc la dernière du recueil. Il m'a semblé évident de mettre en
exergue certains points cruciaux de l'histoire de Barrison : sa première
enquête, sa mort et sa "résurrection". J'avais les idées de départ,
ne me restait plus qu'à les développer.
Je savais quelles orientations je
voulais donner à mes histoires. Mais il me restait l'écueil de
l'originalité,
de l'intérêt et de la cohérence. J'avais décidé du type d'intrigues, j'en avais
trouvé les titres (eh oui, c'est un détail, mais je suis incapable de coucher
le moindre mot d'une histoire sans en avoir le titre. Certains ont la peur de
la page blanche, moi c'est la peur du "titre blanc"). Ne me restait
plus qu'à les écrire.
Barrison est un détective, un Consulting Detective, élève
qui plus est du plus prestigieux d'entre eux. C'est en me rendant compte de
cette affirmation que j'ai pris peur. Parce que, tout comme l'on n'écrit pas
comme Howard Philips Lovecraft (voir un autre article ici même), se placer dans
les pas de Christie, Doyle, Ray et autre Carr n'est pas une tâche des plus
simples non plus. Non pas que j'ai failli renoncer à ce moment-là, mais il me
fallait réussir à me démarquer sans tomber dans la copie, le plagiat ou la
parodie. J'avais un personnage solide, certes, mais il me fallait des intrigues
qui le soient tout autant. Pari pour pari, je décidais, pour les deux premières
intrigues, de me lancer dans un genre particulier, le whodunit. Qu'est ce
que c'est que ce mot barbare ? Prenons la définition de Wikipedia :
Le whodunit ou whodunnit (dans l'anglais Who
done it ? c'est-à-dire "qui l'a fait"), aussi appelé roman de
détection ou roman d'énigme, est une forme complexe du roman policier dans
laquelle la structure de l'énigme est le facteur prédominant. Des indices sont
fournis au lecteur qui est invité à en déduire l'identité du criminel avant que
la solution ne soit révélée dans les dernières pages du livre. L'enquête est
fréquemment menée par un amateur excentrique ou un détective
semi-professionnel.
Compliqué, non ? Certes, mais passionnant à construire.
Alors j'ai noirci des dizaines et des dizaines de pages d'un bloc-notes afin de
trouver des intrigues qui tiennent le pavé et respectent les codes du genre.
Mon astuce ? J'ai construit les énigmes à l'envers. En partant de la fin, et en
remettant les couches successives les unes au-dessus des autres. C'est ainsi
que j'ai écrit La Partie Italienne, première enquête de Barrison.
J'appréhendais la relecture par le petit cercle de personnes
qui suivent mes travaux. Je craignais de m'être fourvoyé, d'avoir écrit une
histoire insipide (c'est pas faux !) et dénuée de tout intérêt. Les quelques
jours qui ont suivi l'envoi, j'avoue que j'étais anxieux. Les retours que j'ai
eus ont dissipé mes doutes et m'ont donné du courage pour la suite. Du coup, je
me suis dit qu'il fallait que je fasse différent pour la seconde histoire, et
j'ai rajouté une difficulté : le meurtre en "chambre close". Retour à
Wikipedia pour voir ce qu'ils en disent :
Un mystère ou une énigme en chambre close est une forme
particulière du roman policier (ça, je m'en serais douté, en même temps).
L'intrigue tourne le plus souvent autour d'un meurtre commis dans une pièce
hermétiquement fermée, d'où l'assassin n'a pu s'échapper après le crime. De
nombreuses variantes existent : un crime perpétré sur une plage où n'apparait
aucune trace de pas, un cadavre qui disparaît d'un local entièrement scellé ou
encore un assassinat qui a lieu alors que personne n'a pu entrer. L'idée de
base est celle du "meurtre impossible". Deux auteurs se sont
particulièrement illustrés dans ce genre : Chersterton et Carr.
Nouvelle contrainte, nouvelles difficultés. Car (et sans
jeux de mots), pour moi, Carr (John Dickson) est un des maitres absolus du
roman policier. Lorsque j'étais étudiant en fac, je lisais un de ses romans par
jour (oui, bon, d'accord, je n'étais pas toujours très assidu en amphi...).
Autant Lovecraft me fascine par la terreur qu'il arrive à instiller dans ses
textes, autant Carr me laissait bouche bée par la richesse de ses intrigues et
sa faculté à perdre le lecteur dans des conjectures toutes plus alambiquées les
unes que les autres, avant de nous asséner la vérité par l'entremise de Gideon
Fell ou Sir Henry Merrivale (ses deux principaux protagonistes, héros
récurrents de ses romans).
Un défi dans le défi, pour moi, en quelques sorte. Dire que
j'ai cogité sur cette histoire (La Mort lui va si bien) est un euphémisme. J'ai
écrit 3 scripts différents avant d'aboutir à quelque chose qui me plaisait. Une
fois ce squelette posé, j'ai dû composer la trame de telle façon que tout y
soit dit. Sans qu'on s'en rende compte à la lecture. Qu'on se laisse prendre
par l'intrigue, les fausses pistes, et qu'on soit bluffé par la révélation
finale. Je ne vous dis – évidemment – pas who, mais sachez qu'en plus de tout
ça, j'ai ajouté d'autres éléments de mon cru à l'histoire.
Enfin, la dernière aventure de Barrison (pour le moment ?)
revêt une importance tout aussi particulière et marque un tournant dans son
histoire. C'est une adaptation d'un des récits parus dans les KIWI de l'époque.
Celui où il rencontre les jeunes étudiants avec lesquels il va faire équipe par
la suite. Je pensais que ce texte serait le plus évident pour moi à composer.
J'avais l'histoire (la base, du moins) je n'avais qu'à la romancer. Quelle
erreur ! Je ne sais pas quel sera mon devenir en tant que scribouillard, mais,
quoi qu'il en soit, je sais d'ores et déjà que je ne ferais que peu
d'adaptations. L'exercice est d'un complexe !
Contrairement à une histoire que l'on invente de A à Z, ici
on est prisonnier d'un carcan dont il est difficile (voire impossible
quelquefois) de se défaire. Et il n'y a rien de pis pour brider l'imagination.
Pour Le Joyau de la Tamise, ce n'est pas moins de huit fins différentes
que j'ai écrites avant d'en trouver une qui me convienne enfin. C'est également
le récit qui a été le plus chronophage (plus de trois mois de rédaction sur les
huit au total).
Lorsque j'ai posé le point final au dernier texte, je n'ai
pu m'empêcher d'être assailli par des sentiments contraires. La joie d'avoir –
enfin – concrétisé mon premier gros projet littéraire, la fierté d'en être
arrivé à bout malgré les écueils, les moments de doute et d'incertitude et la
tristesse de laisser Barry derrière moi.
Certes, il est imbu de lui, prétentieux, hautain et un peu
vaniteux. Mais bon, après plus de huit mois de vie commune, j'ai appris à
connaître, aussi, ses bons côtés.
Et je vous prie de croire que Barry Barrison est un
personnage qui mérite d'être connu. En espérant que ça ne soit qu'un au revoir.
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