S'il
y a bien un sujet délicat à aborder sur les sites/forums communautaires, c'est
bien celui de la traduction de nos jeux préférés. Pourquoi donc ? Parce qu'il y
a toujours deux camps. Ceux qui ne jurent que par la VO, et ceux qui préfèrent
le français. Et, bien souvent, ces deux camps ont du mal à cohabiter l'un avec
l'autre sans que cela parte en pugilat.
À
quoi sont dues ces tensions récurrentes autour des traductions ? Pas facile à
analyser de manière sereine.
Upstalk ? Haricot ? Coco ? |
Upstalk est une expression anglaise pour laquelle il n'existe pas de traduction
littérale immédiate. Alors, dans ce cas, comment fait-on ? Décomposer le mot pour essayer
de trouver un sens (ici up et stalk) et de trouver un mot/expression qui colle, sortir du terme original et
inventer une traduction ou chercher dans le background du jeu pour essayer de
coller au thème ?
Bon,
peu importe l'optique choisie. Le pack s'appelle Sur le Haricot, et, personnellement, je
respecte. Ce sur quoi je voudrais faire réagir c'est la démarche intellectuelle
qui mène à telle ou telle traduction. Les interrogations auxquelles est
confronté le traducteur sont nombreuses. Les paramètres à prendre en compte
aussi. Netrunner, c'est un univers bien posé, avec un background existant déjà
bien étoffé d'autant qu'il existe un CCG antérieur sur lequel il se base.
Alors
doit-on mettre au bûcher [HÉRÉTIQUE !!!! (c) Kaamelott] celui ou celle qui a
choisi cette traduction ? Non, bien sûr. Sur le haricot fait
référence à la construction de Jack Weyland, le Haricot Magique – ou
l’Ascenseur de l'Espace comme il l'aime à l'appeler –, une de ses inventions.
Dans le jeu, il y a Beanstalk
Royalties qui est devenu Dividendes
du Haricot Magique. Ce cycle étant
bâti autour de la colonisation extraterrestre, quitter la Terre en passant sur
ce fameux haricot est tout à fait probable. D'où, à mon sens, le titre du pack.
Mais
les exemples sont nombreux et récurrents.
Coâ ! Coâ ? koi ! |
Ah !
Voilà. Le Bullfrog et son homonyme français,
le Ouaouaron. Si cette traduction n'a pas déclenché la polémique à l'époque,
alors moi je suis curé de campagne. Et pourtant ? Il est où le souci ? On est
bien dans la bonne traduction.
Voilà
ce qu'on trouve quand on cherche un peu :
Lithobates catesbeianus est une espèce d'amphibiens de la famille des ranidae.Elle est appelée ouaouaron (ou wawaron), grenouille mugissante ou grenouille-taureau (de l'anglais « bullfrog »). Le mot « ouaouaron » est d'origine iroquoise.
Oui,
alors okay, le nom français est peut-être moins « classe » à prononcer que son
équivalent anglais ( – Tiens, j'te colle mon Ouaouaron dans ta face, Psifumi !
), mais, encore une fois, vous vouliez mettre quoi à la place ?
Grenouille-taureau ? Bof, je ne suis pas convaincu que l'accueil aurait été
meilleur. La personne qui a traduit a pris la peine d'aller chercher, de
trouver une traduction qui colle parfaitement, et, encore une fois, c'est elle
qui se fait pointer du doigt parce que « S'trop naze Ouaouaron lolilol xptdr
!!! »
Ensuite,
il y a les bugs, les ratés, les fumble. Ouais, comme la première version de
Kit, ou run était
devenu tour en
français. Alors là, effectivement, c'est autre chose, parce que l'erreur à eu
un impact – et pas qu'un peu – sur le jeu. Cela dit, lors de la sortie de
C&C en VF, les boutiques disposaient de la version erratée de la carte et
la donnaient à ceux achetant la Deluxe. Alors c'est mal, certes. Mais ça n'a
pas porté à conséquence longtemps.
— Oui, t'es bien marrant de dire ça, ça n'a pas porté à conséquence ! Mais il y a eu foirage, quand même, hein ! C'est inadmissible !! Que fait la police ?
On
est bien d'accord. Il y a eu un raté. Ce n'est pas le seul, en plus. Le Smith
& Wesson et la Fenêtre sont devenus des Équipement alors
qu'il s'agit de Matériel. Je ne sais pas pour vous, mais est-ce que vous pensez que le staff d'EDGE
a été ravi de voir ces coquilles une fois les boîtes imprimées et reçues ? De
se faire fustiger et traiter de tous les noms par la communauté française en
les tournant en dérision ? Non, ce n'est pas le cas (ou alors c'est qu'ils ont
des tendances masochistes, ce qui m'étonnerait :-D).
Il y
a d'autres coquilles : la Viper et sa hauteur de traque différente dans la VF
par rapport à la VO, par exemple.
Tiens ! Voilà le plus beau ! Ce cher Deep Red, qui, lui aussi, a fait couler beaucoup
d'encre. Ah, j'en ai lu des trucs là-dessus, comme quoi les traducteurs étaient
tous des cons, et qu'ils avaient pris une traduction littérale alors que (bon
sang mais c'est bien sûr !!!) c'est une référence évidente à Deep Thought, aux
échecs et tout le toutim ! Ben, oui, c'est certain, tout le monde sait ça, même
un gamin de 3 ans ! C'est vraiment des nazes, les traducteurs, hein ?
Ok !
Le match Deep Tought vs Gary date de 1989. Enfin, le premier. C'est-à-dire la
bagatelle de 25 ans. C'est vrai qu'un truc aussi évident que ça, tout le monde
le sait. Ils ont fait 2 matches, et GK a même joué un gambit dame durant une
des deux parties. Tout le monde sait ce que c'est un gambit dame, bien sûr
(sans chercher sur Google, évidemment !). Non ? Alors... comment vous pouvez
demander à un mec de connaître l'histoire échiquéenne d'il y a presque 30 ans
si vous-même vous ne la connaissez pas autant.
The King ! |
Deep
Red a été traduit par Carmin. Ben oui, ça colle : Carmin <<-->>
rouge profond <<-->> Deep Red. Elle est où, la merde ? Nulle part.
(n.d.r. il y
a un programme Shaper – Deep Thought – qui a été traduit par Méditation. Et à
l'époque, il n'y a eu aucun tollé comparable. Pourquoi donc ?)
La
traduction, c'est un putain de métier. Et cela ne s'improvise pas, j'en fais l'expérience tous les jours. Je disais
plus haut que Netrunner dispose d'un solide univers. C'est un des nombreux
paramètres que le traducteur va devoir prendre en compte. Quels sont les
autres, d'ailleurs ? Difficile à dire pour certains, parce qu'ils vont être
propres au texte à traduire. Mais je dirais, comme ça, à la volette :
- Éviter les contresens.
- Écrire en bon français, rédiger des
textes clairs et facilement compréhensibles.
- Ne pas hésiter à sortir de la VO si
une VF littérale est lourde à la lecture.
- Savoir reformuler.
- Avoir une orthographe irréprochable,
éviter les fautes de grammaire, de syntaxe.
- Être un minimum au courant de «
l'ambiance » dans laquelle on va évoluer, pour trouver des traductions qui
restent dans le thème et qui ne choquent pas les habitués.
Si
Luke Skywalker était resté Luc Marcheurduciel/Marcheciel (comme c'était le cas
dans la toute première VF au générique de fin – sauf erreur de ma part –), il
est évident que ça aurait eu beaucoup moins d'impact.
— Oui, mais là, coco, ya pas eu d'trad !!! Tu continues à me prendre pour
un jambon ?
Ben
non. Parce que cela fait aussi partie du travail du traducteur de savoir quoi
traduire et quoi ne pas traduire. Il vaut mieux – à mon sens – éviter
quelquefois de traduire certains termes plutôt que de vouloir traduire à tout
prix et se retrouver avec un résultat moyen (voire naze).
Comment ça bosse, un traducteur ? Il ne suffit pas d'un Harrap's et de
Google Trad, vous pensez bien. Évidemment, le premier est indispensable
(contrairement au second).
Comment
ça bosse, un traducteur, disais-je ? Ça bosse dans des délais qui sont souvent
très courts. Ça bosse avec des contraintes de typographie multiples. Ça bosse
avec, toujours, l'envie de faire au mieux. Sur mon bureau, j'ai toujours à
portée de main :
- 2 dictionnaires des synonymes
- 1 des difficultés de la langue française
- 1 avec les expressions anglaises,
- dictionnaire français (voire 2).
- Un Harrap's
Un
traducteur, ça bosse avec envie, et avec passion. Un traducteur fait ce boulot
parce qu'il aime ça (oui, oui, c'est un vrai travail, hein) et qu'il a envie de s'impliquer, d'offrir une VF de l'œuvre
sur laquelle il travaille la plus parfaite possible aux gens allergiques à la
langue de Shakespeare. Un traducteur, c'est une personne comme une autre,
cependant. Avec ses ratés. Personne n'est infaillible, si ? Je ne crois pas.
Que celui (ou celle) qui ne s'est jamais planté une seule fois dans sa vie
m'envoie le premier piratage ;).
Quand
un traducteur reçoit un ouvrage/jeu/whatever à traduire, la première chose à
laquelle il pense (après avoir sautillé comme un idiot dans son siège) c'est :
ok, comment je fais pour rendre une VF la plus proche possible de la VO et que
la communauté/lecteurs soient contents ? Il se renseigne, farfouille le net,
s'imprègne de l'univers et de l'ambiance. Il lit le texte en diagonale afin
d'estimer la difficulté. Puis, il se lance. Avec précaution. En vérifiant
chaque terme auprès de multiples sources (qui a dit Holonet pour Star Wars ?
;)). Le traducteur travaille avec 5 ou 6 fenêtres d'ouvertes en permanence sur
son ordinateur. C'est simple : j'ai beau avoir un écran 24", pour être
parfaitement à l'aise, il me faudrait 2 écrans et un bureau Windows étendu.
Ensuite, il travaille, d'arrache-pied. Tous les jours. Afin de respecter les
délais. Afin de rendre un travail le plus propre possible (et qui n'est jamais
parfait, il faut le savoir). Malgré les remarques et les critiques, le
traducteur continue. Parce qu'il a envie de faire plaisir.
Enfin,
il y a une notion de respect du travail d'autrui que certains ont du mal à
comprendre. Un dernier exemple ? Facile. Doomtown Reloaded a débarqué depuis quelques jours. Zanka et Yeo (du forum
R4G) ont accompli un boulot de dingue en traduisant les règles en VF. Ils m'ont
demandé d'y jeter un œil afin que je regarde quelques bricoles. Alors déjà, je
les remercie de leur confiance en mon analyse, mais, surtout, si jamais je
repère des imperfections/erreurs, je ne vais pas me moquer d'eux parce que tel
ou tel mot/phrase n'est pas « bien » traduite. Déjà, la notion de bien est
subjective, et puis, qui suis-je pour me permettre de me moquer du boulot des
autres ?
NdA : Il s'avère que je l'ai pas eu, pour plusieurs raisons, le temps de les aider, mais mon respect vis à vis d'eux ne change pas.
Le
traducteur, malgré ce qu'on en dit, est impliqué.
Et
ça, tout le monde ne le sait pas.
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